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Première femme dans la mythologie grecque, elle fut créée par un besoin de vengeance de Zeus. Cela semble commencer très mal ! Mais, il ne faut pas oublier que la mythologie est une explication du monde qui nécessite, pour sa démonstration, pour donner corps au symbolique, d’en passer par des métaphores, des imaginations, des métonymies. Il fallait bien un déclencheur pour expliquer le passage des hommes du monde divin au monde humain. L’enfant naît dans un monde divin, sans limite, sans temps, sans individuation, sans conscience. Il va lui falloir faire une « passe » pour devenir cet humain conscient de sa mortalité, de ses limites, de son sexe, de ses ambivalences, des séparations. Nous faisons tous ce chemin-là, fait de pertes et de gains. Chaque peuple a créé son explication du monde. Enfin, ce serait plus exact de dire, les hommes de chaque peuple ; à moins que ce soient les femmes et qu’elles gardent le secret….
Pandora, Ève, Lilith illustrent chacune la séparation homme/femme, la conscience de n’avoir qu’un seul sexe, de ne pas être un Dieu Tout Puissant, d’être castré, limité.
Le fauteur de troubles dans le mythe de Pandora est Prométhée, qui pense pouvoir « rouler » Zeus ! Il partage, lors d’un sacrifice, au temps où les hommes (les femmes donc n’existaient pas encore) mangeaient avec les Dieux, la viande en deux « paquets » : l’un contient la bonne chair mais est camouflé par les parties les moins appétissantes, l’autre est recouvert de chairs appétissantes mais ne contient que des os et des déchets. Nous allons assister à un grand tour de passe-passe à plusieurs niveaux (comme dans un rêve) :
Premier niveau, Zeus semble dupe et choisit le paquet contenant les os. Deuxième niveau : Bien sûr c’est lui qui dupe les hommes, qui, à partir de ce moment, devront se nourrir de chair, de viande et donc passer du temps à chasser, à cuire, à se nourrir tandis que les Dieux se contenteront du fumet sans avoir à se préoccuper de nourriture. Troisième niveau, c’est par le truchement de l’alimentation, la séparation définitive des hommes et des Dieux. Plus jamais les hommes ne mangeront avec les Dieux.
Toute mythologie, tout texte religieux est une explication, souvent une mise en scène, du processus de séparation symbolique que parcourt tout être humain, celui qui signe notre appartenance à l’humanité. Avec son corollaire, l’impossibilité de revenir en arrière, souvent symbolisé par l’interdit du regard en arrière (La femme de Loth, Orphée, etc..)Tous les interdits religieux ou mythologiques sont des interdits de désymbolisation de la différence. Et comme la balance ne saurait fonctionner sans le glaive, la punition est le pire que la mort, la sortie hors de l’humanité, la pétrification par exemple.
Dans notre histoire du jour, Zeus se venge de Prométhée en retirant le feu aux hommes. Prométhée, celui qui ose tout (il en faut un dans un bon scénario) vole le feu avec astuce, en le cachant dans un fenouil qui a la particularité de pouvoir brûler de l’intérieur sans montrer aucun signe extérieur. Grosse, grosse colère de Zeus qui demande à tous les Dieux de s’unir pour créer l’instrument de sa vengeance : Pandora. La femme ! Elle aura tous les signes extérieurs de la beauté et cachera en son sein tous les malheurs de l’homme. Divinement belle, elle a une âme et est douée de la parole : « Et Zeus déclare, à peu près, pour payer le vol du feu, je vais faire cadeau en votre nom à tous, dit-il aux Dieux, aux hommes, d’un feu, qui ne sera plus volé mais voleur. Parce que cette Pandora va être le malheur des hommes mais elle ne sera pas un malheur ordinaire un kalon kakon, plein de beauté, et que les hommes chériront comme ce qu’il y a de plus précieux au monde. Et ce cadeau empoisonné, que je leur fais, va être d’une telle nature que par son appétit alimentaire, (..), les hommes vont être dorénavant comme des abeilles qui sortent de la ruche toute la journée pour récolter le miel qui les fait vivre et déposer son miel dans les récipients. Seulement à l’intérieur des ruches il y a une autre espèce d’insectes, les bourdons qui ne bougent jamais, qui restent le derrière sur leur chaise, si je peux m’exprimer ainsi, et qui mangent tout au fur et à mesure que les abeilles se donnent du mal. Donc, un appétit alimentaire insatiable qui va faire que l’homme va s’échiner et s’épuiser au travail agricole. Et en même temps, aux yeux des Grecs, aux yeux d’Hésiode, un appétit sexuel qui, à certaines périodes de l’année, la canicule, Sirius, c’est-à-dire, vous voyez bien le rapport, au moment où l’étoile qui s’appelle le chien, kunos, est le plus proche de la terre et où il fait une chaleur écrasante, la femme qui a été fabriquée avec beaucoup d’eau, et qui a, aux yeux des Grecs et dans toutes les collections hippocratiques, un tempérament humide, va bien. Mais ces pauvres hommes qui eux sont beaucoup plus proches du sec et du flamboyant, du feu, quand il y a une chaleur, une canicule, ils sont réduits à rien. Et la présence de leur femme avec son double appétit, alimentaire et sexuel, fait que, je cite Hésiode, « la femme fait cuire, sans feu, les hommes et les réduit avant l’âge à l’état de bois complètement brûlé. »» (Jean-Pierre Vernant ; conférence dans le lycée de Sèvres)
Cette Pandora a donc également un immense appétit sexuel ; et voilà nos pauvres hommes fascinés par cette beauté et obligés de travailler, de s’épuiser, de se ruiner pour l’entretenir !
Prométhée a un frère, son double inversé, aussi naturel et naïf que Prométhée est habile et rusé, qui, voyant Pandora, tombe raide amoureux et l’épouse. Zeus ordonne alors à la nouvelle épousée d’ouvrir la boîte (ou la jarre) qu’il lui avait donnée en dot et de la refermer aussitôt. La fameuse boîte de Pandore :
« Elle fait, elle ouvre, un tas de choses jaillissent et elle referme. Qu’est-ce qui a jailli ? Ce qui a jailli ce sont tous les malheurs, toutes les misères de la vie humaine que Pandora, en quelque sorte, symbolise et concrétise, avec cette différence essentielle pour comprendre ce que signifie l’arrivée de la première femme. Pandora est un mal mais c’est un mal superbe à voir et délicieux à entendre quand elle vous roucoule des paroles de séduction. Quand on la voit on croit voir une Déesse et ses paroles et sa voix ont une suavité qui vous séduit. Autrement dit, elle est un mal qu’on voit, qu’on entend mais qu’on n’écarte pas, qu’au contraire on chérit en raison de sa beauté, de sa douceur. Tandis que les maux qui sortent de la jarre sont quoi ? Les maladies, les souffrances, les deuils, les accidents, tous les malheurs, la pauvreté, la famine, les douleurs … tout ça, ce sont, comment dirais-je, des petits êtres avec des ailes qui sont partout, qui sont en errance permanente, de jour, de nuit, à la maison ou en dehors, sur la mer, dans la terre, dans les airs, le monde en est peuplé. Mais, ces maux, si on les voyait, si on les entendait on se garderait d’eux ; ils sont invisibles et inaudibles. Zeus les a rendus invisibles. Et contrairement à Pandora à qui on a donné une voix, ils sont silencieux. De sorte que les maux qu’on éviterait si on les voyait, parce qu’ils vous apparaîtraient comme des maux, on ne les voit, ni on ne les entend. Ils vous tombent dessus à l’improviste. Et le mal qu’on voit et qu’on entend, vous trompe et par la vision séductrice et par les paroles de douceurs. Donc, on est fait de toutes les façons. Notre monde est un monde où les malheurs sont continuellement présents en liaison avec la femme. Pourquoi ?
Il faut aller un peu plus loin dans la compréhension du texte. Qu’est-ce que ça veut dire ? Vous comprenez bien qu’il y a un rapport évident entre ce que Prométhée a essayé de faire à Zeus, le tromper, en faisant que l’apparence des choses, le dehors est contraire à ce qu’il y a dedans, c’était le cas avec les parts de nourriture, c’est le cas aussi avec la semence de feu, puisque ce qu’on voit dehors c’est une plante verte et qu’à l’intérieur il y a un tison qui est en train de s’enflammer. Et ce que représente Pandora, dans la vie humaine, c’est justement cela. C’est le fait que l’apparence extérieure non seulement visuelle mais auditive, les sons qui sortent d’elle, tout ce qui émane d’elle, tout ce qu’on perçoit d’elle, est contraire exactement à ce qu’elle est en réalité. Autrement dit dans cette espèce de poker, de duel de ruses, que Prométhée a joué avec Zeus, le résultat c’est que toutes les cartes dont l’humanité dispose sont biseautées, sont fausses, sont faussées. Ce qui va caractériser la vie humaine c’est son ambiguïté, son caractère contradictoire. Dorénavant, chez les hommes, il n’y a plus de bien sans mal. Il n’y a plus de jeunesse sans vieillesse. Il n’y a plus de venue au monde, de naissance, sans déperdition et mort. Il n’y a plus de bonheur, sans malheur, pas d’abondance sans d’abord fatigue et épuisement. C’est ça qui est caractéristique de la vie humaine. » (J.P.Vernant idem)
C’est-à-dire que tout naît de la séparation des contraires. Nous n’avons plus accès à la réalité comme un tout, comme divine, nous n’avons accès qu’à une perception par séparation symbolique des contraires, c’est-à-dire par le langage, par la nomination de chaque différenciation, par la création des signifiants. La femme ne se définit que comme contraire de l’homme, le féminin que par le masculin, le beau /le laid, le froid/le chaud etc… Pandora est à la fois une explication du monde vue par les hommes, à la fois une vérité universelle. On pourrait comme pour Eve, inverser les rôles ; cela ne changerait rien à la séparation des Dieux et des hommes.
Ce mythe, comme tous les autres, nous démontre que rien n’existe sans son contraire, que l’humanité à la différence des Dieux, ne connaît ni l’éternité, ni l’infini, ni la toute puissance ce qui serait d’un ennui mortel comme le disent si bien Eve ou Adam à Dieu. Nous sommes propulsés par la libido dans une vie pleine d’imprévus, de malheurs et de bonheurs, de blanc et de noir, de nuit et de jour, d’amour et de haine, d’une chose et son contraire, espace de liberté, de créativité, d’angoisse, de mouvement, de désir, d’espoir, d’attente, de changement, de passion, d’émotion, de vie. Vie que l’on ne connaît que par le truchement des signifiants.