Paroles du divan (57)
16 mercredi Déc 2015
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in11 vendredi Déc 2015
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Rappelons que Delphine Horvilleur est rabbin.
« Qu’ils l’appellent, en hébreu ou en arabe, Ha-Rah’aman ou El-Rah’im, juifs et musulmans prient un même Dieu qu’ils appellent « miséricordieux ». A la racine de ce mot sacré de leurs liturgies respectives, est r-h-m, l’utérus. Il s’agirait donc de rendre grâce par ce nom au divin matriciel, nourricier et bienveillant à l’égard de celui qui s’en remet à lui.
Mais il faut bien reconnaître que chanter les louanges du divin en lui prêtant les attributs de cet éléments anatomique a de quoi surprendre quiconque observe le monde religieux. L’utérus est l’organe féminin par excellence; Il est surtout le lieu où se mêlent les semences dont la rencontre donne naissance à de l’inédit. Féminin, mélange et nouveauté: à lui tout seul, l’utérus incarne tout ce que le discours religieux traditionnel redoute ou abhorre!
Le fondamentalisme est même précisément celui qui ordonne: ne te mêle pas à l’autre, surtout pas à la femme, et ne renouvelle en rien les traditions ou les lectures passées. Reproduis à l’identique.
Le féminin lui pose problème, en tant que figure de l’altérité par excellence; Il est le genre qui interroge la norme et pose la question qui menace tous les dogmes: es-tu capable de faire place à autrui? voilà pourquoi, comme incarnation de ce féminin, les femmes sont tenues à distance du culte, par leur corps ou leur esprit.
Tout en elles, à commencer par leur anatomie, dit la membrane, l’ouverture et le passage: précisément ce qui menace une pensée intégriste, intégralement et hermétiquement clôturée par ses certitudes.
Le féminin dérange parce qu’il est celui qui s’ouvre, et fait en lui de la place pour être fécondé par un extérieur à lui. Or, le fondamentaliste de toute religion prétend que nul ne peut ou ne doit le contaminer, que sa tradition est pure de toute influence étrangère, et même de toute contextualisation. Il met en garde contre le mélange ou la trop grande proximité avec l’infidèle, l’étranger ou l’hérétique. Dans le judaïsme par exemple, il dit: ne vis pas trop comme les non-juifs, reste fidèle au modèle des ancêtres, ne te laisse pas contaminer par d’autres; Pourtant parfois, il dit cela en portant des vêtements noirs inspirés de ceux de la Pologne du XVIIè siècle, en chantant des mélodies synagogales qui sont en fait des refrains ukrainiens du XVIIIè siècle ou des hymnes allemands du XIXè siècle, en invoquant Maïmonide, l’enfant de la philosophie d’Aristote, ou en organisant un dîner annuel qui mime un symposium gréco-romain…
Aucune tradition n’est exempte de « contaminations », c’est-à-dire de fertilisations. Il en va du judaïsme comme de tous les langages. Son histoire s’est nourrie d’autres cultures, qu’elle a su métaboliser d’une manière particulière, et transformer pour les faire siennes. Toute identité est poreuse et mouvante, tant qu’elle est vivante.
C’est ainsi qu’une tradition peut créer du nouveau et rester pertinente. Elle se doit tout simplement d’être une matrice à partir de laquelle pourront se développer des générations qui se percevront en continuité avec les précédentes, tout en apportant au monde de l’inédit.
En cela, le fondamentalisme est un refus d’expansion, qui prétend que le texte a déjà tout dit et que seules les lectures passées sont valides. Il ne s’agirait, dès lors, que de répéter ce qui a déjà été énoncé. Or la seule éternité d’un texte sacré est sa force de « croître et multiplier »; c’est-à-dire d’assurer son renouvellement de sens dans une fécondité de lecture. « Celui qui par fatigue ou par paresse, voire par idolâtrie de son maître, répéterait ce que d’autres on dit sans tenter d’y voir plus clair lui-même porterait atteinte à cette force. » (Catherine calier, Lire la Torah, Seuil, 2014, p 67)
Les textes religieux crient: « Interprète-moi! Fertilise-moi de ta lecture et ne me stérilise pas d’interprétations passées. » Nul ne peut prier un « Dieu matriciel » s’il ne sait faire de la place dans son monde et dans son livre à des voix nouvelles, celles d’hommes et de femmes dont la parole est fécondante, porteuse de vie.
Ce qui unit les juifs à travers les générations ne’st pas une génétique, ni une croyance, ni une pratique, c’est un rapport au Texte qui leur sert de matrice. Ce judaïsme matriciel abrite à chaque génération des extensions de sens. « Nous sommes « textés » à nos ancêtres (..)héritiers de cette procession d’abonnés à une même bibliothèque en perpétuelle expansion. » écrivent Amos Oz et sa fille dans un ouvrage à deux voix, un dialogue entre deux générations.
En conclusion de leur livre, père et fille invitent leurs lecteurs à remplacer partout dans leur livre le mot « juif » par le mot « lecteur ». « Vous serez étonné de voir à quel point il convient. » Il en va de leur ouvrage comme de celui que vous tenez entre vos mains. Si les rabbins font des enfants juifs, c’est d’abord pour fabriquer au livre de nouveaux lecteurs. La pérennité du monde, comme celle de chaque tradition, dépend des « relectures » à venir.
04 vendredi Déc 2015
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