Extraits de « La peur des femmes ou gynophobia » Wolfgang Lederer chez Payot 1980
« Les Grecs pensaient que les sorcières venaient de Thessalie; quant aux Romains, ils prétendaient que les Sabins et les Marses avaient une très grande proportion de sorcières et dans l’un et l’autre cas, ils accusaient des « étrangères ».
De tout temps, les femmes ont fait cueillette des herbes médicinales et des simples; elles comprirent très vite que certaines plantes possédaient des vertus curatives et que d’autres pouvaient être dangereuses (parmi ces dernières on peut supposer un certain nombre d’hallucinogènes).On comprend aisément que le fait d’en faire usage, de savoir à quoi servaient toutes ces herbes, soit pour beaucoup dans les pouvoirs mystérieux qu’on attribuait aux sorcières. On croyait, par exemple, que les sorcières pouvaient voler, qu’elles savaient provoquer la lévitation et qu’elles pouvaient rendre à un homme sa capacité d’érection grâce aux filtres d’amour. Les sorcières incarnaient à leur façon la super-féminité puisqu’elles pouvaient changer, se transformer à volonté, qualités (ou défauts?) qu’on attribue volontiers aux femmes. Elles incarnaient tous les aspects destructeurs de la Grande Déesse; Les sorcières (strigae) décrites par Ovide, étaient des vieilles femmes qui savaient comment se métamorphoser, pendant la nuit, en oiseaux qui poussaient d’abominables cris en planant au-dessus des maisons; elles se nourrissaient exclusivement de bébés. Comme elles avaient aussi le pouvoir de modifier complètement une situation, on les qualifiait aussi de « sages ».
Dans la mythologie nordique, les Eddas, on donne les conseils suivants pour se protéger des femmes magiciennes et des dangers encourus par ceux qui se laissent dominer par les femmes: « Ne vous laissez jamais à dormir dans les bras d’une sorcière; ne la laissez jamais vous serrer contre elle. Elle vous transformerait en rebelle qui n’aurait plus aucun respect pour les décisions des anciens et les ordres du Prince; vous ne voudriez plus manger en compagnie des autres hommes et vous seriez mortellement triste en vous couchant ».
L’avertissement ci-dessus indique clairement que l’influence qu’exercent les femmes sur les hommes est de nature asociale.
Longtemps les Germains crurent aux sorcières (le monde germanique englobait alors les pays nordiques et s’étendait jusqu’aux rives de la Méditerranée où vivaient les Lombards et les Visigoths, il allait des Steppes de L’Europe centrale aux îles de l’océan Atlantique). Même à l’apogée de leur puissance, les Germains vécurent dans la terreur des sorcières.
La sorcellerie nordique n’était pas entièrement négative. La Déesse Freyja présidait à un type particulier de sorcellerie: la seidr. La prêtresse de la seidr s’appelait la volva;elle siégeait sur une plate-forme élevée, chantait des incantations, tombait en transes et c’est alors qu’elle répondait aux questions qu’on lui posait sur la nature du temps à venir, des récoltes, du destin des jeunes gens et des femmes qui se trouvaient dans l’assistance. Parfois le terme seidr servait à désigner des agissements maléfiques à l’endroit de quelque misérable victime, mais il s’applique plutôt à des rituels divinatoires. Ces volvas voyageaient seules ou en groupes; elles allaient de ferme en ferme, en Norvège ou en Islande, et semblent avoir été les dernières représentantes de la Déesse de la fertilité dans le nord; elles pratiquaient un type de magie interdit aux hommes. Certaines de leurs pratiques restaient obscures au commun des mortels, pratiques par ailleurs associées au culte du cheval. On peut à juste titre les accuser de funestes besognes. On dit que l’un des premiers rois de Suède mourut sous les sabots d’une sorcière qui s’était pour l’occasion métamorphosée en cheval; une chronique anglaise du XII ème siècle rapporte que l’épouse du roi Edgar fut accusée de sorcellerie parce qu’elle se transformait souvent en cheval: »un évêque témoigna l’avoir vue, en train de courir et de sauter au milieu d’une horde de chevaux, se montrant outrageusement nue ». On dit encore que le souvenir de ces abominables péchés est la cause profonde de la profonde aversion qu’éprouvent les Anglais à manger du cheval.
L’Eglise primitive, avant de s’imposer, dut combattre tant de schismes et de sectes que les païens semblent avoir été un moindre mal par comparaison avec les chrétiens hérétiques! Avec le temps l’Empire Byzantin eut, lui aussi, à combattre les sorcières. Malgré les enseignements de saint Jean Chrysostome qui conseillait de ne jamais inviter chez soi « les ivrognesses infirmes qui prédisent l’avenir » la cour de l’impératrice Eudoxie se vautrait tout entière dans la magie noire.
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En France, Charlemagne (mort en 814) fut obligé d’instituer la peine de mort pour ceux qui, en évoquant le démon, troublaient l’atmosphère, suscitaient des tempêtes, détruisaient les récoltes, rendaient les vaches stériles et provoquaient chez leurs semblables, en jetant des sorts, des maladies ou d’irréparables avanies.Ces détails sont forts significatifs; ces activités se rattachent en effet à la fertilité; soulignons que ces accusations revêtent déjà une forme qu’elles ne cesseront d’avoir par la suite. Charlemagne ne donne aucune précision quant au mode d’exécution des coupables, mais Dioclétien avait donné l’exemple au II ème siècle en brûlant tous les Manichéens dont il avait pu se saisir; quant aux montanistes phrygiens, interdits par Justiniens, ils s’enfermèrent dans leur église et périrent dans le brasier qu’ils avaient eux-mêmes allumé. On choisit donc résolument de brûler les hérétiques; cette tâche incombait généralement aux autorités civiles qui l’exécutait sous la direction des clercs du tribunal.
Il existe un document fort révélateur sur la question des sorcières, intitulé Canon Episcopi, qu’on date approximativement du Concile D’Ancyre, en 314 après J.C:
« Certaines vilaines femmes, converties à Satan, séduites par les illusoires promesses des démons, croient et prétendent être capables, la nuit, de chevaucher des bêtes sauvages, en compagnie de Diane et d’une foule de méchantes créatures; elles prétendent parcourir d’énormes distances, sur l’ordre de leur maîtresse. Si elles n’entraînaient pas à leur suite d’autres femmes et qu’elles seules subissent les conséquences de cette vilenie, le fait n’aurait pas d’importance. L’ennui, c’est qu’elles réussissent souvent à convaincre les foules qui croient que de tels exploits sont possibles; ces foules retombent alors dans l’ancien culte païen; Il faut donc que les prêtres avertissent les fidèles et les persuadent que tout cela est faux et que ce ne sont que des fantasmes inspirés du démon… Il faut avertir les gens que ceux qui croiraient ces choses risquent de perdre la foi et que ceux qui n’ont plus la foi, cessent d’être les enfants de Dieu pour devenir ceux du démon. »
Dans le cas présent, c’est Satan qu’on accuse de sorcellerie. (..) on comprend que l’Eglise ait choisi cette explication, du fait que la sorcellerie avait eu sa place dans la majorité des religions et des cultes non chrétiens; accorder le moindre crédit à la sorcellerie aurait pu être interprété comme une reconnaissance de ces cultes.
(..) L’Eglise, en somme, dans l’espoir de supprimer tout résidu de paganisme, préférait croire que ces assemblées nocturnes n’avaient de réalité que dans l’imagination de ceux qui en parlaient, et déclarait hérétiques tous ces « phantasmes »; au Moyen-Age, c’est tout le contraire qui va se produire puisque sera hérétique et puni celui qui ne croit pas à l’existence des sorcières! »