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Je poursuis avec vous ma lecture de « Les deux sœurs et leur mère » à propos de l’identique et du différent:
« La notion même d’identité passe par une représentation du corps et de sa place dans le monde. Le premier objet de réflexion de l’homme émergeant de l’animalité, c’est son corps au milieu des autres espèces animales ou végétales qui l’entourent et, au-delà, dans le cosmos qui l’embrasse. Il y a un gradient d’interprétation qui part du corps du sujet et s’éloigne concentriquement de plus en plus loin dans le monde. La première donnée irréductible et irréfragable du corps, anatomique et physiologique tout à la fois, c’est la différence des sexes. (..) L’observable immédiat, sans l’usage d’instrument, c’est celui d’une reproduction animale sexuée, avec un sexe masculin et un sexe féminin anatomiquement ajustables. Cette caractéristique essentielle est à l’origine de nos catégories mentales les plus profondes, celles de l’identique et du différent. Tel m’est identique parce qu’il porte le même appareil sexuel, tel est différent parce qu’il porte un autre appareil sexuel que moi.
L’identique et le différent m’apparaissent pour cette raison qu’ils sont ancrés dans l’observation primordiale du corps humain comme les catégories princeps de ma pensée. (..) Toutes les sociétés humaines, même si elles n’ont pas élaboré de discours « scientifique », fonctionnent à partir de ces mêmes catégories implicites.
Et à tout prendre, les systèmes de représentations partagés par l’ensemble des individus d’une même société, grosso modo, même si tous ne bénéficient pas de la même richesse de connaissances, peuvent être considérés comme des discours scientifiques, dans la mesure où il s’agit d’ensembles cohérents et structurés qui visent à exprimer la réalité, avec les moyens intellectuels et techniques d’observation dont les individus du moment disposent. Mais si les techniques sont certes très différentes entre notre époque et notre civilisation occidentale et d’autres époques de notre histoire (ou d’autres histoires que la nôtre à différentes époques), en revanche, les moyens intellectuels diffèrent peu: observation, comparaison, voire expérimentation, généralisation. Plus encore, une grammaire est fondée sur l’opposition entre identique et différent, sur le classement des objets dans l’une ou l’autre catégorie, et sur les mouvements qui affectent les objets en raison des caractères qui leur sont attribués selon leur classement dans une catégorie.
Je pose là, certes des présupposés. Mais ils découlent de l’observation minutieuse d’ensembles de représentations de sociétés humaines, lesquels sont toujours fondés sur un primat, celui d’une identité consubstantielle qui génère simultanément les organisations sociales: filiation, alliance, appellations et comportements, groupements, règles de bienséance, et des systèmes globaux de représentation. »