I Lacan, séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse; p 176
« Quoi qu’il en soit, à ce niveau rien ne nous sort du champ de l’amour, c’est-à-dire du cadre du narcissisme, dont Freud nous indique en propres termes, dans cet article (L’homme aux loups), qu’il est fait de l’insertion de l’autoerotisch dans les intérêts organisés du moi. A l’intérieur de ce cadre, il peut bien y avoir représentation des objets du monde extérieur, choix et discernement, possibilité de connaissance, bref tout le champ dans lequel s’est exercée la psychologie classique y est compris. Mais rien (..) n’y représente l’Autre, l’Autre radical, l’Autre comme tel.
Cette représentation de l’Autre manque, précisément entre ces deux mondes opposés que la sexualité nous désigne dans le masculin et le féminin. En poussant les choses au maximum, on peut même dire que l’idéal viril et l’idéal féminin sont figurés dans le psychisme par autre chose que cette opposition activité-passivité dont je parlais tout à l’heure. Ils ressortissent proprement d’un terme que je n’ai pas, moi, introduit, mais dont une psychanalyste a épinglé l’attitude sexuelle féminine- c’est la mascarade.
La mascarade n’est pas ce qui entre en jeu dans la parade nécessaire, au niveau des animaux, à l’appairage, et aussi bien la parure se révèle-t-elle là, généralement, du côté du mâle. La mascarade a un autre sens dans le domaine humain, c’est précisément de jouer au niveau, non plus imaginaire, mais symbolique.
C’est à partir de là qu’il nous reste maintenant à montrer que la sexualité comme telle fait sa rentrée, exerce son activité propre, par l’intermédiaire -si paradoxal que la paraisse – des pulsions partielles. »
II Lacan, séminaire V, Les formations de l’inconscient, p 253
Cette batte constituée la dernière fois par ce signe bâton, de la cravache ou du n’importe quoi qui frappe, est ce quelque chose, par où même un effet désagréable devient distinction et instauration de la relation même par où la demande peut être reconnue comme telle ; ce par quoi ce qui a été d’abord moyen d’annuler la réalité rivale du frère, devient secondairement ce quelque chose par quoi le sujet lui-même se trouve distinguer par où lui-même est reconnu comme quelque chose qui peut être, ou reconnu, ou jeté au néant, ce quelque chose qui d’ores et déjà se présente donc comme la surface sur laquelle peut s’inscrire tout ce qui peut être donné par la suite, une sorte de chèque, si je puis dire, tiré en blanc, sur lequel tous les dons sont possibles.
Et vous voyez bien que puisque tous les dons sont possibles, c’est qu’aussi bien il ne s’agit même pas de ce qui peut ou non être donné, parce que là il s’agit bien de cette relation de l’amour dont je vous dis qu’elle est constituée par ce que le sujet, lui, donne essentiellement, c’est-à-dire ce qu’il n’a pas. Tout le possible de cette introduction à l’ordre de l’amour suppose ce signe fondamental qui, par le sujet, peut être, ou annulé, ou reconnu comme tel.
(…)
Joan Rivière montre comment, dans un cas qu’elle situe par rapport à diverses [voies et] cheminements possibles dans l’accession à la féminité, comment un de ces cas démontrait pour elle, se présentait comme ayant une féminité d’autant plus remarquable dans son assomption apparemment absolument complète que c’était précisément chez un de ces sujets dont toute la vie par ailleurs peut sembler être à l’époque, beaucoup plus encore qu’à la nôtre, l’assomption de toutes les fonctions masculines. Autrement dit, il s’agit de quelqu’un qui avait une vie professionnelle parfaitement indépendante, élaborée, libre, et qui néanmoins, ce qui, je le répète, tranchait plus à cette époque qu’à la nôtre, se manifestait par une sorte d’assomption corrélative et au maximum, à tous les degrés, de ce qu’on pouvait appeler ses fonctions féminines ; ceci non seulement sous la forme apparente, publique, des fonctions de maîtresse de maison, dans ses rapports avec son époux — en tant que montrant partout la supériorité des qualités qui sont, dans notre état social, forcément, censées être de façon univoque les caractéristiques sociales de ce qui est la charge de la femme — maisparticulièrement dans un autre registre, tout spécialement dans le plan sexuel, quelque chose d’entièrement satisfaisant dans ses relations à l’homme, autrement dit dans la jouissance de la relation.
Or, cette analyse met en valeur, sous cette apparente et entière satisfaction de la position féminine, quelque chose de très caché qui n’en constitue pas moins la base, quelque chose qui sans aucun doute est ce qu’on trouve après qu’on y ait été incité tout de même par quelque menue, mais infiniment menue discordance apparaissant à la surface de cet état en principe complètement satisfaisant.
Ce quelque chose de caché — il est intéressant de le montrer, parce que vous savez l’importance, l’accent que notre expérience a pu mettre sur le Penisneid, revendication du pénis, dans beaucoup de troubles du développement de la sexualité féminine — ici ce qui est caché, c’est bien tout le contraire, c’est ce phallus, comme on l’appelle. Je ne peux pas vous refaire l’histoire de cette femme, ce n’est pas notre objet aujourd’hui, mais la source de la satisfaction fondamentale supporte [que] ce qui apparemment fleurit dans cette libido heureuse, c’est la satisfaction cachée de sa suprématie sur les personnages parentaux.
C’est le terme même dont se sert Madame Joan Rivière, et ceci est par elle considéré comme étant à la source même de ce qui se présente avec un caractère qui n’est pas tellement assuré dans l’évolution de la sexualité féminine, pour ne pas être remarqué dans ce cas. La source du caractère satisfaisant de l’organe lui-même est la preuve du fait que précisément, à partir de la détection de ce ressort caché de la personnalité chez le sujet même, si c’est seulement d’une façon transitoire que s’obtient cet effet de perturber profondément ce qui avait été acquis ou présenté chez le sujet comme relation achevée, mûre et heureuse, ceci avait entraîné même pour un temps la disparition de cette heureuse issue de l’acte sexuel.
Ce devant quoi là donc nous nous trouvons en présence, souligne Madame Joan Rivière, est ceci : c’est que c’est en fonction du besoin chez le sujet d’éviter de la part des hommes la rétorsion de cette subreptice soustraction à l’autre de la source et du symbole même de sa puissance, que, à mesure qu’avance l’analyse, apparaît de plus en plus évidemment guidé, et dominé, et donné, le sens de la relation du sujet avec les personnes de l’un et l’autre sexe. C’est dans la mesure où ceci doit être, pour en éviter le châtiment, la rétorsion de la part des hommes qui sont ici visés, que le sujet — dans une scansion très fine, mais qui apparaît d’autant mieux que l’analyse avance, qui était déjà perceptible pourtant dans ces petits traits “anomaliques” de l’analyse — à chaque fois en somme que le sujet a fait preuve de sa puissance phalliquement constituée, se précipite dans une série de démarches, soit de séduction, soit même de procédures sacrificielles : tout faire pour les autres, et justement en apparence adoptant là les formes les plus élevées du dévouement féminin, comme quelque chose qui consiste à dire : “Mais voyez, je ne l’ai pas ce phallus, je suis femme et pure femme”, à se masquer spécialement dans les démarches qui suivent auprès des hommes immédiatement, dans ces démarches professionnelles par exemple, dans lesquelles elle se montre éminemment qualifiée, adoptant soudain par une sorte de dérobade l’attitude de quelqu’un d’excessivement modeste, voire anxieux sur la qualité de ce qu’il a fait, et en réalité jouant tout un jeu de coquetterie, comme s’exprime Madame Joan Rivière, qui à ce moment-là lui sert, non pas tant à rassurer qu’à tromper, dans son esprit, ce qui pourrait souvent s’offenser de ce quelque chose qui, chez elle, se présente essentiellement et fondamentalement comme agression, comme besoin et jouissance de la suprématie comme telle, comme profondément structuré sur toute une histoire qui est celle de la rivalité avec la mère d’abord, avec le père ensuite.
Bref, à propos d’un exemple comme celui-là, aussi paradoxal qu’il paraisse, nous voyons donc bien que ce dont il s’agit dans une analyse, dans la compréhension d’une structure subjective, c’est toujours de quelque chose qui nous montre le sujet engagé dans un procès de reconnaissance comme tel, mais de reconnaissance de quoi?
Comprenons-le bien, puisque de ce besoin de reconnaissance le sujet est inconscient, c’est bien pourquoi il nous faut quelque part situer cet Autre, nécessité par tout rapport de reconnaissance, le situer dans une altérité d’une qualité que nous n’avons pas connue jusqu’à présent, ni jusqu’à Freud, celle qui en fait la pure et simple place de signifiant par quoi l’être se divise d’avec sa propre existence, qui fait du sort du sujet humain quelque chose d’essentiellement lié à son rapport avec ce signe, d’être ce qui est fait de ce signe, d’être l’objet de toutes sortes de passions qui présentifient dans ce procès même la mort, en ce que c’est dans son lien à ce signe que le sujet est assez détaché de lui-même pour pouvoir avoir ce rapport, semble-t-il unique dans la création de sa propre existence, qui est la dernière forme de ce que dans l’analyse nous appelons le masochisme, à savoir ce quelque chose par quoi le sujet appréhende la douleur d’exister, cette division où le sujet se trouve constitué dès l’abord en tant qu’existence.
Pourquoi ? Parce que ailleurs son être a à se faire représenter dans le signe, et le signe lui-même est dans un tiers endroit. C’est là ce qui, dès le niveau de l’inconscient, structure le sujet dans cette décomposition de lui-même sans laquelle il nous est impossible de fonder d’aucune façon valable ce qui s’appelle l’inconscient. »
III idem p 273
« Dans le rapport imaginaire, vous le savez, l’image de soi, du corps, joue chez l’homme un rôle primordial et en vient à tout dominer. L’électivité de cette image chez l’homme est profondément liée au fait qu’il est ouvert à cette dialectique du signifiant dont nous parlons. La réduction des images captivantes à l’image centrale du corps, n’est pas sans lien avec le rapport fondamental du sujet à la triade signifiante. Ce rapport à la triade signifiante introduit ce troisième terme par quoi le sujet, au-delà de son rapport duel, de son rapport de captivation à l’image, demande, si je puis dire, à être signifié. Et c’est pour cette raison qu’il y a sur le plan de l’imaginaire trois pôles.
Dans la constitution minimale du champ symbolique au-delà du moi et de mon image, de par le fait que j’ai à entrer dans les conditions du signifiant, quelque chose doit marquer que mon désir a à être signifié, pour autant qu’il passe nécessairement par une demande que je dois signifier sur le plan symbolique. En d’autres termes, il est exigé un symbole général de cette marge qui me sépare toujours de mon désir, et qui fait que mon désir est toujours marqué de l’altération qu’il subit de par l’entrée dans le signifiant. Il y a un symbole général de cette marge, de ce manque fondamental nécessaire à introduire mon désir dans le signifiant, à en faire le désir auquel j’ai affaire dans la dialectique analytique. Ce symbole est ce par quoi le signifié est désigné en tant qu’il est toujours signifié, altéré, voire signifié à côté.
(..) La fonction constituante du phallus dans la dialectique de l’introduction du sujet à son existence pure et simple et à sa position sexuelle, est impossible à déduire si nous n’en faisons pas le signifiant fondamental par quoi le désir du sujet a à se faire reconnaître comme tel, qu’il s’agisse de l’homme ou de la femme. Le fait est que le désir, quel qu’il soit, a dans le sujet cette référence phallique. »