Victor Hugo:
« Ce génie particulier de la femme qui comprend l’homme mieux que l’homme ne se comprend. »
« La vérité est comme le soleil. Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder. »
Le discours des hommes sur la femme, les femmes, la féminité n’est pas de vérité. Ils disent ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils pensent, ce qu’ils croient par le truchement de leur position d’homme. Les femmes n’échappent pas plus à cette limitation de leur entendement. Quand elles prennent la parole, le plus souvent, elles se glissent dans le discours des hommes. Soit parce qu’elles l’entendent de vérité, soit parce qu’elles comprennent les hommes mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes et savent qu’ils, (pas tous), ne peuvent franchir un au-delà de l’angoisse de castration. Ce fameux secret. Souvenez-vous: Dieu a créé en premier la femme, lui a donné ensuite un compagnon, fragile narcissiquement, susceptible; la femme a promis de ne jamais lui révéler qu’elle fût créée en premier. La femme, Eve, toute Eve, sait qu’elle ne peut dire la vérité à l’homme sous peine de le casser et de recevoir de la violence en retour. Eve a reçu un compagnon au prix de son silence, au prix de ne pouvoir dire la vérité à l’homme. Elle ne peut la dire qu’aux autres femmes et à Dieu. Les femmes sont donc en complicité entre elles mais aussi avec Dieu. Dieu, c’est-à-dire l’éternité, c’est-à-dire le sublime, c’est-à-dire la chaîne humaine, l’engendrement, la lignée, l’humanité dans sa totalité. La femme est initiée à la sublimation par la nature, par sa capacité à donner la vie, par la traversée du miracle qu’est la naissance d’un nouvel être. Souvenez-vous encore de ce petit garçon de cinq ans qui disait être jaloux des filles parce qu’il aimerait lui aussi avoir un enfant dans son ventre un jour. Tout ce qui a été dit ou écrit sur la mascarade part du penis neid, de l’envie du penis de la petite fille. Certes, la petite fille découvre qu’elle n’a pas cet appendice si cher aux garçons, réalise qu’elle ne l’aura jamais (ça ne pousse pas contrairement aux seins), qu’elle doit vivre toute sa vie sans ce pénis, que sa condition de femme s’inscrit dans ce manque. Elle est initiée à la castration par la nature disait Françoise Dolto. Ce qu’il se joue à cet endroit n’est pas de même ordre pour un garçon et pour une fille comme chacun le sait. Les hommes s’arrêtent là. Voilà, tout est dit: blocage, sidération, image écran. La castration à laquelle ils se trouvent confrontés est difficilement symbolisable; elle tente de trouver sa place dans l’imaginaire, l’image de la castration devenant exclusivement portée par l’autre absolument différent, l’autre qui ne peut être eux-mêmes. Cette différence est structurante et donc définitivement fixée. L’autre, la femme, l’autre sexe , ce sexe de femme dont rien ne dépasse, ce trou, ce vide sidérant. L’autre qui n’est pas moi, l’autre auquel je ne peux ressembler, l’autre qui doit toujours rester radicalement différent. L’autre, ce mystère, qui doit se débrouiller, fort mal sans doute, avec sa castration, l’autre au sort peu enviable, l’autre qui se ronge de n’avoir pas de pénis. (L’homme juif remercie Dieu chaque matin de ne pas l’avoir fait femme). Même si bientôt, ce vide si angoissant se transforme en vide qui ne demande qu’à se remplir, vide qui attire la semence, vide refuge du pénis, mais qui reste pour toujours l’angoissant vide, le mystérieux vide, voire le dangereux vide.
Pour la petite fille, passé le stade de constatation de sa « castration », elle (si tout va bien) accepte comme un fait, une évidence sa différence, sa non appartenance au masculin. Bien sûr cela ne va pas sans errance dans l’imaginaire, dans la tentation de faire comme si, dans l’espoir de devenir un garçon tout de même. Mais la réalité s’impose un jour; la réalité se soutient. Ce qui ne fait pas d’elle une émasculée pour autant si les hommes autour d’elle la respectent et si les femmes autour d’elle l’inscrivent dans la féminité, dans son devenir femme, dans son devenir mère, dans sa capacité à élever l’objet-corps à la dignité de la Chose. Là est le secret des femmes, ce savoir transmis, cet accès au sacré et pas seulement dans sa capacité à porter, à créer un enfant mais aussi dans sa sexualité, dans son rapport avec les hommes. Elle sait que ses seins vont pousser, vraiment « pousser » en avant, s’érecter vers l’homme. Elle sait que ce vide dans son ventre n’est là que pour accueillir le sacré de la vie, la mettant directement en lien avec le sublime. C’est dans ce lien avec le sacré de la vie que réside la beauté de la femme, cette beauté tant chantée par les hommes. Chaque sexe peut se penser avec sa supériorité et son manque. Le jeu social, lui, change la donne. L’homme guerrier, conquérant, chasseur doit cultiver sa supériorité pour vaincre. La femme tenue par les grossesses et les enfants à assurer le domestique n’a rien à prouver. Le jeu social a déterminé des rôles, pas des structures.
L’enfant-fille devra s’identifier à sa mère ou une autre femme et se positionner par rapport à son père ou tout autre homme, découvrir son propre désir, ses pulsions, ses fantasmes, ses limites. Tout dépend du « bain » dans lequel elle respire. Ce « bain », n’est pas toujours sain bien sûr. Il y a des chaînes de femmes privées du sublime qui ne transmettent que l’objet-corps, que l’instant, que le pouvoir immédiat. Il y a des hommes qui raptent le féminin, qui le castrent dans sa capacité au sublime. Il y a….. une infinité de torsions qui conduisent hommes et femmes sur nos divans. Mais il y a aussi ceux et celles qui ont grandi dans un bain éclairé par la vérité dans lequel ils peuvent trouver leur chemin.
Et la mascarade? que fait-elle ici? Elle a sa fonction de masque, de truchement, de paravent. Certes. La patiente de Joan Rivière s’en servait à merveille, comme d’une muleta pour attirer le taureau/homme et aussi le guider, l’emmener où elle voulait pour mieux en être maître, pour mieux le tuer. Le tuer pour ne pas être tuée elle-même. Son angoisse d’être mise à mort après chaque conférence par l’homme/père est liée à quel crime? Qu’a-t-elle commis? Quelle limite a-t-elle franchie? Cette femme est allé sur le terrain de son père, terrain de chasse, terrain social d’évaluation de la puissance de l’homme et elle s’est révélée brillante, performante, en capacité de dépasser son père, donc de tuer symboliquement ce père, en place de fils et non de fille, en place de porteuse du pénis/phallus. Triple crime donc: tuer le père, prétendre à la non-castration et perdre son identité de femme. La mascarade vient tout réparer: voyez, je suis un trou, un vide et non un plein, venez vérifier que je suis castrée, que j’appartiens au groupe femme, que je ne veux tuer personne. Avant toute chose, le sexe, la différence sexuelle est symbolisée comme différence première pour se penser humaine. Il n’y a aucune angoisse pire que celle de se penser en dehors de l’humanité; or appartenir à l’humanité nécessite d’appartenir à un des deux sexes, de s’identifier à un des deux sexes , d’avoir accès au symbolique. Prétendre ou croire que l’autre pourrait croire que l’on prétend appartenir à l’autre sexe que le sien réveille l’angoisse insupportable de la désymbolisation de la différence, extrêmement plus destructrice que l’angoisse de castration. Concilier ses dons, capacités, réussites avec son identité de femme sans réveiller la toute puissance phallique imaginaire du père…..
L’identité sexuelle se joue dans le « manifeste » social et dans le « latent » inconscient qui glissent l’un sur l’autre, l’un sous l’autre . La mascarade est là pour donner du « jeu », pour mettre un espace d’ajustement entre le manifeste et le latent, comme dans le rêve. Mais elle est aussi là pour donner du « jeu » entre les deux sexes, pour leur permettre de jouer. Parfois pour servir de « muleta » entre le taureau, (l’homme guerrier, violent tueur de l’imaginaire des femmes ou parfois de la réalité) et le toréador, image de l’humain fin sanglé dans le contrôle, image de faiblesse qui risque sa vie pour dominer le taureau, pour l’emmener à céder. Il faut le séduire, le faire se jeter dans la muleta jusqu’à ce qu’il « succombe » à la fascination, à la séduction , au point de ne plus dominer ses pulsions de taureau, dangereux, mais enfin soumis.
La mascarade féminine est un entre-deux, un espace de jeu entre les deux sexes utiles à chacun pour avancer vers l’autre sans prendre le risque de réveiller crument l’angoisse de chacun. L’angoisse de castration de l’homme et l’angoisse de non-castration de la femme.