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Comme l’explique Delphine Horvilleur, le judaïsme est né d’une rupture avec l’Egypte, avec la religion égyptienne. Dans l’histoire de l’Egypte on rencontre le monothéisme, le plus spectaculairement, c’est avec Akhenaton qui en bon paranoïaque avait la certitude d’être plus près de Dieu et de la vérité qu’aucun être humain et qui en pharaon avait atteint le dernier degré de l’initiation, c’est-à-dire l’abandon progressif des idoles, des multitudes de dieux pour adorer un seul dieu: le soleil Aton. La société égyptienne en effet fonctionnait par classe « sociale » qui étaient des classes « d’initiation ». Le bas peuple était libre d’adorer le dieu de son choix ou les dieux de son choix, de son village, de sa culture. Les initiés (voir les francs-maçons) gravissaient peu à peu les marches d’une pyramide en abandonnant les croyances populaires pour atteindre la foi suprême en un seul Dieu. Akhenaton a voulu initier tout son peuple d’un seul coup, coup qui a porté par effet d’une sidération , mais coup qui lui est revenu en pleine face par le pays tout entier. A sa mort, toute trace de lui a été volontairement effacée (avec bien sur des ratés qui permettent un retour du refoulé ultérieur); son fils Toutankhamon, en lui succédant, a rétabli le polythéisme. Toute cette histoire, si on l’écoute comme l’histoire non seulement du peuple juif mais aussi de chacun de nous, nous enseigne plusieurs choses:
-Que le monothéisme n’est pas une création ex nihilo mais une révélation à tout un peuple, une initiation collective. La nouveauté réside dans le fait que pour cette fois la greffe prenne après plusieurs échecs. L’explication est sans doute qu’il fallait pour cela une rupture préalable, un départ. Comme une naissance dit Delphine Horvilleur ou comme la re-naissance qu’est l’adolescence, la nécessité de tourner le dos (sans se retourner) pour exister avec sa propre pensée, ses propres valeurs même si , bien sûr, rien ne surgit ex nihilo, qu’une continuité persiste même cachée dans l’inconscient, même à l’insu de chacun.
-Que la mère juive est celle qui ne veut pas voir partir son enfant, que la mère juive, tout comme l’Egypte, ne veut pas vivre les plaies de la rupture, ne veut pas perdre ce qui lui a couté si cher à créer. La mère juive existe dans tout parent qui doit vivre avec cette insupportable double pensée: en donnant la vie à cet enfant, je lui ai donné la mort. Je veux qu’il vive sa vie mais je veux le protéger de sa mort. Je veux qu’il parte vivre selon son désir mais son départ me tue en tant que parent. La mère juive est celle qui lutte contre la mort, celle de l’enfant et la sienne. Nous sommes tous (ou presque)des mères juives. Mais heureusement il y a Moïse, le père (symbolique, pas nécessairement le père réel) qui parle de la Terre promise, de la promesse, de l’avenir. Celui qui sait qu’il n’y a aucun retour possible dans le ventre maternel, celui qui croit en un ailleurs, un différent, un meilleur. Celui qui coupe définitivement le cordon.
-Que celui qui veut vivre doit accepter non seulement de mourir mais aussi de tuer, de tuer ce qui est derrière lui, de ne pas se retourner, d’accepter d’en finir avec l’enfance et le ventre maternel.
La mère juive est donc cette angoisse que chaque parent porte en lui-même de l’avenir de son enfant une fois le cordon coupé, de l’insupportable inévitable de la mort de son enfant, de l’insupportable inévitable de sa propre mort. « Tel est le propre des catégories englobantes: elles transcendent ce qu’elles nomment, et décrivent un phénomène universel sous les traits d’un particularisme. » (D Horvilleur)
La mère juive est un phénomène universel qui doit son nom de « juive » à cette première fois, du moins ainsi racontée, ainsi symbolisée qui transforme ce particularisme en « marque déposée ».